Sur une musique connue; sommes-nous sur le point de voir les derniers commerciaux humains écrasés, déchiquetés et mis au rebut par l’immense machine du Big Bad Bot-Data ? Vous avez dit « obsolescence programmée » ?
Il faudrait être stupide, aveugle, ou tout juste sorti de 20 ans d’hibernation pour contester une évidence ; Aujourd’hui, le Marketing est ROI (1), omniprésent, omnipotent. Je ne compte plus les livres, les ebooks, les livres blancs gratuits, les webinaires, les formations, sites, forums, blogs, articles, traitant l’un de l’inbound, l’autre de l’outbound, de l’automation, du captage de votre funnel, de l’awareness, du reach ou de la performance d’une landing page. Le Marketing Industrialisé, Automatisé, Augmenté est LA science utile de l’économie du 21eme siècle et le recours de plus en plus systématique aux algorithmes, au big data et bientôt à l’intelligence artificielle ne feront qu’accélérer cette transformation scientifique et méthodique du processus commercial (2).
Et, tel le lapin pris dans les phares de la grosse voiture, le petit vendeur tétanisé voit arriver cette énorme Machine qui fonce droit sur lui, à tout allure…
Stop. Arrêt sur image. Changeons la bobine et regardons réellement ce qui est en train de se passer entre la Vente et le Marketing.
Si le marketing est indéniablement devenu une Science, alors la vente est, elle, définitivement restée un Art. Non pas que nous devions tous devenir Picasso ou Velasquez, mais il est important de considérer le vendeur, non pas seulement comme un artisan mais aussi comme un Artiste, un homme ou une femme qui réalise un geste intime, unique, au service de cette petite parcelle de la transaction commerciale qui contient tout l’improbable génie humain !
C’est une étincelle émotionnelle, cette touche personnelle qui flirte avec l’inexplicable, le génie, l’amour, le frisson ! Il peut y avoir des dizaines de stratégies de marketing identiques, automatisées, calquées sur le même modèle. Mais aucun grand vendeur ne ressemble à aucun autre grand vendeur ! Et il n’y pas deux ventes identiques, car il s’agit toujours de la rencontre singulière de deux êtres différents, autour d’un produit ou d’un service différent, à un moment différent.
Pour pousser la métaphore plus loin, imaginez … Le marketing c’est la Galerie d’Art, son grand vernissage-événementiel millimétré, ses jolis bristols d’invitation et la stratégie de démarchage des invités potentiels, son emplacement étudié, sa guest list triée et son personnel d’accueil rodé, son illumination, sa décoration, la musique de fond, minutieusement choisie, le champagne de chez Un Tel les petits fours de chez Un Autre… Le marketing s’efforce inlassablement, mécaniquement, répétitivement de créer les conditions d’une Vente possible. Possible, oui, mais jamais certaine.
Mais la vente, oh, la vente, c’est le moment unique de la confrontation avec l’œuvre, c’est cette microseconde de grâce qui contient toute les heures du monde, celle qui voit s’allumer quelque chose de profond, un changement de regard, le sourire qui s’esquisse, oui, cela se produit, l’œuvre plait, touche, marque, fait bouger un indéfinissable organe rattaché directement à l’Âme. C’est un basculement fou, des barrières immenses qui s’effondrent, tout à coup, sans bruit, mais dans un jaillissement de petites étoiles magiques qui font flamber soudain le fond de la rétine ! Le cœur s’emballe, les joues brûlent, l’émotion prend instantanément les commandes et le Rationnel est fermement prié d’attacher sa ceinture à l’arrière du véhicule crânien. Le choc se produit ; « J’achète ! » dit-elle, ce qui est la traduction approximative la plus polie de ce désir fou, de cet immense « je le VEUX » qui lui dilate le myocarde !
Plus le marketing deviendra un univers rationalisé de datas, de pratiques, de techniques, de stats, de KPIs, et plus j’aimerai la Vente, dernier territoire de l’Art Humain de provoquer l’Amour.
Et c’est peut-être, contre toute attente, en ce moment précis que le Marketing et la Vente vont enfin réussir à se donner la main.
La digitalisation risque effectivement de faire disparaitre de nombreux postes de « vendeurs », aux endroits où ils étaient le moins nécessaires. Car le preneur d’ordre ou le porteur de bon de commande, vous me l’accorderez, ne pratiquait pas réellement de la vente. Les gestionnaires de l’achat du client sont déjà des fossiles de l’ère numérique. Le Data-Marketing va mettre au point des principes d’automatisation plus rapides, plus pratiques et quasiment sans défauts pour accompagner votre demande, la transformer facilement en commande et en delivery et évaluer votre satisfaction tout au long du process. Mais le data-bot ne peut pas encore transformer vos besoins latents, vos envies obscures, vos souhaits encore mal définis en demandes claires. Il prend le relais une fois la décision prise, mais il peine à provoquer le désir quand l’achat envisagé est conséquent ou complexe.
Je reste émerveillé devant la fantastique machine qu’est devenu le processus commercial et je suis convaincu que les vendeurs de commandes, ceux qui portent le titre de « commercial » comme une obligation, dépourvus de passion (et déjà tombés dans un automatisme humain sinistre, à proposer toujours de la même façon, les mêmes choses, avec la même tragique absence de conviction) seront assez rapidement libérés de leur fardeau et confrontés à la nécessité de trouver en eux quelque chose qui les anime réellement pour pouvoir gagner leur vie (dans tous les sens du terme(3) ).
Je crois et j’espère que tous les ingénieurs du marketing de l’avenir reconnaitront avec admiration (et peut être un soupçon d’envie), le talent des Vrais Vendeurs, de ces Artistes passionnés, qui, d’un coup de pinceau si personnel, si maitrisé, emportent dans un frisson d’excitation, la décision fébrile d’acheter et provoquent chez leurs clients, par une magie humaine encore inexpliquée, le désir, le plaisir, l’amour et le contentement.
Et je crois également que les Vrais Vendeurs vont comprendre, petit à petit, que l’automatisation et l’ingénérisation du processus commercial par le Data et l’IA est un allié précieux qui peut rapidement les libérer de bon nombre de taches fastidieuses liées à la prospection « dans le dur », aux fichiers bruts non qualifiés, au réencodage systématique de données, au suivi « à l’aveugle » ou au « petit bonheur la chance » des signaux d’achat, de réachat ou de défection de leurs clients, qui seront co-pilotés, assistés et qui pourra, à terme, leur permettre de venir au bon moment, au bon endroit, auprès de la bonne personne apporter leur touche personnelle de génie créatif et généreux pour emporter et conserver avec eux, durablement, le cœur de nombreux clients.
Laurent De Smet.
Notes de bas de page :
1- Vous êtes définitivement passé du côté obscur du Data, si au lieu de Roi, vous avez lu R.O.I. (return on investment).
2- Vous êtes déjà dramatiquement fossilisé si vous n’avez pas compris plus de la moitié des mots en italique dans ce premier paragraphe.
3- « Gagner sa vie », quand on y pense, c’est une expression fantastique de sens ! Pourquoi l’avons-nous réduite à « gagner de l’argent » ? N’est-il pas temps de gagner réellement nos vies à l’heure ou l’AI et le Robot vont nous délester du pénible ?