Bruxelles. Première heure de formation Vente pour ces jeunes entre 18 et 25 ans que je vais accompagner sur cette thématique au sein d’un programme de remise à l’emploi d’une durée d’un an.
Leur objectif : décrocher un stage puis un CDI dans le domaine de la « Vente Multimédia ». L’éventail des cours qui leur seront donnés est riche et utile. Une vraie panoplie de combat : Technique produits, néerlandais, bureautique, anglais, théâtre et expression orale, rédaction de CV, simulations d’interviews, recherche de stage ; rien n’est laissé au hasard !

Moi, j’ai 12 jours au total pour leur apprendre à vendre. Ou plutôt pour leur apprendre à aimer vendre.
En guise d’introduction je les fais travailler sur le thème des différents types de clients. Tout part toujours du Client. Comme souvent je commence par une classe inversée. Je leur propose d’effectuer une recherche en sous-groupes sur le web et de me faire une synthèse de tout ce qu’ils trouvent comme « profils clients ». 30 minutes plus tard, le grand tableau blanc est recouvert de qualificatifs et d’attributs surprenants. Les 3 groupes me présentent leur petite galerie de portraits au sein desquelles on retrouve :

Le Client Roi – Le Client Blasé – Le Client Anxieux / Stressé – Le Client Négatif – Le Client Chronophage – Le Client Méticuleux – Le Client Obsessionnel – Le Client Râleur – Le Client Pressé – Le Client Victime – Le Client de mauvaise foi – Le Client Muet – Le Client SuperStar – Le Client Scoumoune – Le Client Négociateur – Le Client Indécis – Le Client Sceptique – Le Client Inquiet – Le Client Procrastinateur – Le Client non-acheteur – Le Client Cyclothymique – Le Client Autiste – Le Client Contrôleur – Le Client Menteur – Le Client Infidèle / Papillonneur – Le Client Radin – …

« Mais quelle famille ! » ne puis-je m’empêcher de m’exclamer. « Quel horrible ramassis de monstres ! C’est Halloween avant l’heure ?». La classe s’amuse.

J’enchaine. «Vous vous figurez donc que votre prochain job consistera à travailler avec tous ces individus abominables, 8 heures par jour, 5 jours par semaine ? Mais c’est pire que la cage aux fauves ! C’est carrément le bagne ! Du coup, il va rapidement vous être très difficile de trouver chaque jour la motivation pour aller nager avec les requins. C’est inhumain de devoir en permanence gérer tant de gens aussi compliqués, exigeants, stressés, chiants quoi ! »

Derrière les sourires et les regards plein de malice, je sens effectivement cette inquiétude affleurer chez eux et on peut le comprendre ; Leurs parcours atypiques, souvent parsemés d’accidents personnels, écornent l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. La peur de l’autre, du jugement est donc, chez eux, généralement plus vive. Et voilà qu’en 30 minutes de recherche ils se confrontent à l’idée que leur prochain travail sera d’être confrontés en permanence à tous ces personnages difficiles et méprisants. Malaise. Je reprends.
« Et si je vous disais qu’aucun de ces clients n’existe vraiment, en réalité ? Si je vous disais qu’ils sont le pur produit de notre propre jugement et que nous avons toujours et seulement les clients que nous méritons ? ». Silence forcément dubitatif.

« Vous vous apprêtez à devenir vendeurs, n’est-ce pas ? Un vendeur a pour obligation de ne pas s’arrêter aux apparences, de creuser sous la surface des choses pour comprendre en profondeur les besoins de ses clients. Si ce client adopte à un moment donné un comportement que nous jugeons comme négatif, c’est parce qu’il essaye de satisfaire un besoin qui n’a pas été compris. Ce comportement trouve probablement sa source dans votre propre attitude. Et il ira en s’amplifiant tant qu’une réponse au besoin ne sera pas trouvée, au point même de provoquer la rupture.  Commençons donc par le commencement. Reprenons cette liste et dites-moi quel besoin exprime chacun de ces clients monstrueux »

«Donc, le client Roi … ? » je laisse le silence faire son travail « …Un besoin d’être reconnu… ?» tente soudain un participant. « Oui, bien vu ! Même un besoin de se sentir important, de montrer qu’il mérite d’être bien servi. Ce qui nous arrive à tous quand nous nous sentons … ? » « …Négligés ! » me répond une autre stagiaire. «Bravo ! Il y a donc eu probablement dans votre approche quelque chose qui a été interprété par le client comme un signe de négligence. Son comportement apparait pour tenter de rééquilibrer la balance. En d’autres termes, son attitude est une demande !»

« Le client Radin … ? » « En fait il est grave fauché !» me propose immédiatement une jeune fille. Tout le monde pouffe. « C’est possible, oui ! Et l’imaginer un peu fauché vous le rend quand même nettement plus sympathique que de le considérer comme un radin, non ? » Acquiescement général. « Cela veut dire que vous comprenez que vous le percevez comme radin parce que vous l’aurez probablement emmené vers une solution que vous jugez qualitative mais qui sort de son budget ou dont il ne perçoit pas complètement la valeur. Encore une fois, c’est une demande et le comportement constaté est une réaction au notre ».
« Ok, mais pour un client agressif, on fait quoi, on va pas lui faire un câlin quand même ? » m’objecte en souriant mon bravache du 2eme rang. Rires dans la classe. Je souris aussi. « Je suis persuadé que ca marcherait mieux que de l’agresser en retour. Mais l’agressivité et l’expression comportementale de la colère, ok ? Et la colère est une émotion qui vise à communiquer un besoin de respect. Trouvez avec empathie ce qui n’a pas été respecté et vous verrez l’agressivité disparaitre peu à peu ».
« Alors on doit tout accepter ? » me dit un candidat, un peu angoissé à l’idée de servir de paillasson universel à sa clientèle. « Non, vous ne devez pas tout accepter. Mais vous devez chercher à tout comprendre, ce n’est pas pareil. Et quand vous comprenez pourquoi un de vos clients ressent une émotion ou se comporte étrangement, vous êtes plus à même de l’accepter et d’agir pour rétablir une relation normale. Chaque Emotion est l’expression d’un besoin. Or votre travail est justement de découvrir les besoins ».

«J’pensais qu’on allait apprendre à vendre, pas à devenir des psys !» me dit une voix grave, bien campée au fond de la salle. Tout le monde se retourne. Le grand baléze taciturne, propriétaire de ce beau timbre de basse attend sa réponse en me fixant.

«Oui, c’est étonnant j’imagine. Et c’est principalement ce qui manque le plus aux vendeurs d’aujourd’hui. Un peu de psychologie positive, des outils pour comprendre et aider au lieu de manipuler !»
« Aider au lieu de manipuler ». Ces mots planent dans l’air et se déposent lentement sur chacun de mes stagiaires.

«D’ailleurs, pour enfoncer le clou, on m’a récemment parlé d’une étude faite sur les résultats de deux groupes d’employés formés en parallèle pour vendre un produit donné. Le premier groupe avait été formé aux techniques classiques de vente et au produit, le second avait reçu une formation sur base de plusieurs outils de psychologie. Puis on a évalué les résultats de vente quelques temps plus tard. Devine lequel des deux groupes a généré le meilleur chiffre d’affaire ? »
« Les psys … ? »  me rend la Grande Basse, amusée.
« Évidemment. » lui réponds-je avec un clin d’oeil.
« Nous y voilà les jeunes, On va travailler ensemble sur la vente, ses phases, ses techniques, mais vous allez aussi entendre beaucoup parler d’émotions, de neurosciences et de neurotransmetteurs, d’analyse transactionnelle, d’empathie, de PNL, de biais cognitifs, de types de personnalités et de plein de concepts et d’outils empruntés à la psychologie. Mais avant qu’on commence il va vous falloir accepter l’idée que le premier ennemi de la Vente n’est pas le client mais bien vous-même. C’est votre Ego. C’est lui qui vous entraine systématiquement à juger autrui en fonction de vos propres valeurs, de vos codes, de vos projections, c’est cet Ego qui va vous faire adopter une attitude qui va provoquer chez l’autre l’émergence d’un de tous ces comportements affreux que vous décrivez et que vous redoutez. »
« C’est un fait constant dans l’histoire de l’homme : Il n’y a pas d’autres monstres que ceux que nous créons. Il n’y a pas de client monstrueux sans un vendeur maladroit ou inattentif en face. A l’image de Frankenstein, nous créons nos propres monstres. Alors avant de nous en plaindre, apprenons d’abord à ne pas les faire apparaître. Si vous voulez vendre, virez votre égo ! Apprenez à aimer les gens tels qu’ils sont et pas tels que vous voulez qu’ils soient. »

Le silence est dense, sans être lourd, je le trouve même plutôt riche. Certains notent. D’autres sourient sans s’en apercevoir. Peut-être que certains me voient déjà comme un gros Bisounours. Peu importe. Moi je les aime déjà.

« Et donc, par 5 groupes de 3 vous vous répartissez la liste des affreux clients et vous vous essayez à comprendre les besoins de chacun d’entre eux. On se retrouve dans 15 minutes. »
Vous savez quoi ? J’aime tellement mon job !

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