Ok, j’avoue, c’est une déformation professionnelle, je suis une des rares personnes qui apprécie d’être la cible d’opérations de cold calling sur le téléphone fixe de mon domicile (qui ne sert d’ailleurs pratiquement plus qu’à cela). J’aime écouter, évaluer les accroches, les pitchs, les méthodes. Je recherche les bonnes techniques, m’irrite des scripts débilitants, des télémarketeurs blasés, détachés, qui ne prennent pas (ou plus) de plaisir à l’exercice. Je suis toujours prêt à reconnaître la compétence quand elle se présente et il m’arrive même de féliciter (trop rarement hélas) quelques un de ces « mineurs de fond » du téléphone quand la chaleur, la sympathie et la fluidité du discours se marie à un vrai talent et à un bon process de vente.
Et c’est précisément ce qui s’est passé hier en fin de journée, alors que je terminais un échange avec un démarcheur de chez ENI qui m’avait convaincu avec calme, gentillesse et efficacité d’accepter un rendez-vous avec un spécialiste de l’énergie pour faire le point sur ma consommation gaz et électricité. J’avais clos l’appel en lui témoignant ma surprise et ma satisfaction quand à son agilité et sa compétence. Le processus étant bien au point, j’avais la liste de ce que je devais préparer et un SMS m’avait confirmé quelques minutes après l’appel, l’heure du rendez-vous avec quelques autres infos.
Et puis ? Et puis rien ! Après 45 minutes d’attente, j’ai fini par contacter leurs services pour leur signifier que ce n’était plus la peine de se pointer chez moi. « Notre collaborateur a peut-être eu un empêchement, Monsieur ». « Certes, Madame, mais dans ce cas, on prévient » me suis-je fendu de répondre avant de terminer d’un trait le café (froid) que j’avais préparé pour le commercial (sous le conseil avisé de son téléopérateur) Non mais !
Voila une petite anecdote qui en dit long sur la problématique des pratiques commerciales d’aujourd’hui. Beaucoup de process et beaucoup de gâchis ! Quand je pense aux efforts de ces forçats du CRM et du téléphone, le casque vissé sur les oreilles, a devoir appeler des centaines de numéros par jour, à se battre et débattre pour arracher un précieux rendez-vous à des prospects de plus en plus saturés, blasés, rétifs (et de moins en moins polis), quand je pense aux coûts d’acquisition (que je connais hélas) d’un tel rendez-vous pour constater en bout de course que cette relation client naissante vient d’avorter définitivement par un terrible manque de sérieux et quand je pense dans la foulée à tout le temps, l’argent et l’énergie investis dans ces outils et ces processus sensés faciliter la relation client depuis « l’awareness » jusqu’au « closing – on going order » pour en arriver a un si piètre résultat, ça me file une nausée professionnelle sévère.
Entendons-nous; je suis absolument convaincu de l’utilité de la pléthore d’outils à la disposition des entreprises d’aujourd’hui. Le (social)CRM est un Must, la gestion collaborative des Pipelines représente une opportunité fantastique, sans compter sur l’utilisation des données pour mieux comprendre, mieux satisfaire, mieux cibler et mieux adresser nos clients ! Pour rien au monde je ne troquerais mon iPhone contre un Rolodex, les réseaux sociaux contre un « top 30.000 » de 3 kilos et mes applications de suivi d’affaires contre un véléda et un effaceur.
Mais l’optique purement productiviste et financière cause de gros problèmes d’usages et de jonctions. A force de ne plus être que des lignes d’informations dans un système, les outils déshumanisent le processus général de la relation client qu’ils simplifient pourtant. Nous avons les moyens de faire mieux, mais on nous demande seulement d’en faire plus ! Le temps gagné n’est pas réinvesti dans l’humain mais dans la productivité, au détriment même de l’objectif premier : la satisfaction client. Le beau pipeline a des fuites et au lieu de les colmater, beaucoup d’entreprises prennent le parti d’augmenter le flux et le débit, ce qui, à coup sur, ne manquera pas d’augmenter également le volume du gâchis.
Il faut réapprendre à vendre à l’heure du Data-Roi. Nos nouveaux outils doivent permettre de dégager du temps et de l’attention sincère pour nos clients, nous aider à entretenir de vraies relations. Nos clients y sont sensibles précisément parce que l’attention et l’authenticité deviennent des denrées de plus en plus rares. Cessons de repenser les flux, repensons la Qualité de la Relation au lieu de vouloir toujours augmenter les quantités de relations de plus en plus superficielles et totalement dépourvues de la moindre étincelle de sincérite.