Jamais nous n’avons été aussi puissants ! Jamais nous n’avons été aussi passifs !

Autour de nous le monde s’écroule.

Nous regardons faire, les bras ballants. Ou nous réajustons nos œillères, c’est selon. Nous consommons. Nous sommes dans la grande salle de restaurant du Titanic. Nous savons que nous avons heurté l’iceberg. Nous sentons gîter le colosse. Mais nous avons choisi de faire comme si de rien était, et nous espérons encore pouvoir goûter au dessert, avant la fin.

Nous ressemblons au personnage de cette vieille pub pour le Boursin, à jouir avec désinvolture d’un fromage alors que tout les reste s’effondre. Oh, bien sur, il y en a bien quelques uns qui beuglent, qui prennent le pavé et le porte-voix pour se faire entendre. Il y en a d’autres qui se réunissent et qui pensent. Il y a ceux qui espèrent encore qu’un vote pourra faire changer les choses, ceux qui pensent qu’il faut se barrer au plus vite, ceux qui s’indignent, ceux qui se révoltent, ceux qui tentent de fomenter une révolution, ceux qui espèrent le retour d’un messie, d’une autorité forte, mais l’immense majorité regarde défiler le paysage résigné à n’être rien ni personne et à n’avoir aucun pouvoir d’aucune sorte sur ce monde qui nous dépasse et qui est aux mains d’autrui.

Même la théorie du complot des grandes multinationales, du Bilderberg Group, de la Ploutocratie, encouragerait n’importe qui à la passivité. Qui sommes nous pour rivaliser avec de telles puissances ?

Non, Repasse moi plutôt le beurre et mets la télévision un peu plus fort. Farcissons-nous la panse et le cerveau avec ce qui nous plait, ce qui nous « ressemble ». A chacun son mix : Masterchef et pizza ? Arté et salade bio ? Les Experts et Burgers ? MadMen et Sushis ? Oublions le reste. Nous n’y pouvons rien. Ce n’est pas de notre faute. Que le dernier éteigne la lumière, s’il vous plait.

Stop.
Reprenons-nous.
Il me semble qu’il y a une voie.

Une voie qui n’est ni complexe ni révolutionnaire et qui est à la portée de tout un chacun.

Et si, en fin de compte, sauver le monde était simple ?

Ne serions-nous pas tentés d’essayer ? Si, au lieu de polariser notre attention sur l’héroïsme surnaturel, commun à tout ceux qui sauvent le quartier, le pays, la terre ou l’univers à toute heure du jour ou de la nuit sur nos chaines thématiques à grand spectacle, pour nous résigner, une fois encore, à n’être ni fort, ni beau, ni puissant, nous nous rendions compte que nous sommes tous assis sur la solution et que tout est organisé pour que nous passions complètement à coté ! Si au lieu de vous dire qu’il faudra sortir, prendre les armes, renverser l’ordre établi à renforts de sit-ins, de mégaphones et de cocktails Molotovs, je vous apprends que vous pouvez commencer votre propre révolution, sans même troubler votre agenda. Si, pour bâtir un monde meilleur, au lieu de vous contraindre à penser à un la mort de la société de consommation pour un monde post-baba-cool fait de potagers bios personnels, de vêtements en laine brute et en lin mal dégrossi, de toilettes à copeaux de bois et de fromages faits maison, je vous affirme qu’il y a un avenir au capitalisme, à l’économie mondiale et à la production de biens et de services. Ne serait-il pas tentant, finalement, de changer le cours des choses ? Réfléchissez… et si c’était aussi simple que de choisir le mieux plutôt que le moins. Juste ça.

Attention, j’ai dit « simple », je n’ai pas dit « facile ». Car pour y parvenir nous allons devoir lutter contre un ennemi bien plus résistant et corrupteur que le Grand Capital ou le Nouvel Ordre Mondial ; il va s’agir de changer quelques unes de nos petites habitudes (les grandes sont plus faciles à changer que les petites) et surtout de commencer à être honnête et cohérents avec nous-même. Il va falloir s’en prendre à l’ennemi intérieur, celui-là même avec lequel nous essayons tant bien que mal de faire la paix en nous livrant à de tortueux compromis quotidiens. En fin de compte, cela vous sera aussi difficile que… d’arrêter de fumer ! Tous les fumeurs (et ex-fumeurs-bravo) du monde comprendront instantanément de quoi je parle. C’est simple mais cela demande une certaine volonté, comme à chaque fois qu’il s’agit de se débarrasser d’une assuétude, d’une addiction.

Car c’est bien de cela dont il s’agit. Nous souffrons tous, dans notre « Modèle Occidental » à des degrés divers, d’une Addiction problématique ; le « Bargaining » ou le « Bonaffairisme ». Il ne s’agit pas ici de la notion littérale de « Marchandage » dans le sens « négociation » mais plutôt dans la conviction permanente qu’il faut à tout prix (sans mauvais jeu de mots) / qu’il est capital (tiens, encore) d’acheter toute chose à un niveau de prix inférieur à sa valeur réelle pour sortir gagnant de la transaction. Et le corolaire inverse immédiat de cette règle personnelle est qu’il faut vendre toute chose à un niveau de prix supérieur à sa valeur réelle pour sortir gagnant de la transaction.

Mais pour qu’une addiction devienne problématique, il faut évidemment que son objet soit disponible et bien distribué. Et c’est la que la puissance de l’homme, du progrès, de la civilisation et des technologies entrent en jeu. Nous avons aujourd’hui mis à notre propre disposition des moyens phénoménaux. Nous pouvons faire des choses incroyables qui auraient paru totalement impossible à la totalité de nos ancêtres, même à nos proches grands-parents ! Nous pouvons faire des Miracles ! Mais le voulons-nous ?

Comme le disait il y à longtemps une amie laotienne empreinte d’une infinie sagesse « En fin de compte l’univers est une immense machine destinée à exaucer les souhaits. Le plus difficile, c’est savoir quoi souhaiter ».

La première prise conscience, fondamentale, cruelle et probablement indigeste pour la plupart d’entre nous est la suivante ; ce monde est exactement et seulement ce que nous Voulons ! Il répond tout simplement à nos Désirs et s’organise pour nous fournir ce que nous lui demandons. Mais pour nous satisfaire, il met en œuvre des moyens que nous n’avons pas souhaité et produit de nombreux effets au mieux néfastes au pire carrément pervers. Nos désirs portent sur les résultats, pas sur les moyens ! Nous nous en déresponsabilisons. Or ces moyens aujourd’hui sont colossaux. Les conséquences de leur mise en œuvre peuvent donc être immenses.

Oui, les supermarchés vous offrent des ananas et des bananes parce que vous en voulez, parce que vous voulez en manger. Et elle vous les offrent à des prix dérisoires, parce que nous avons une addiction au « Bargaining » et parce qu’elles redoutent que leur concurrent d’en face soit le premier à baisser ses prix pour mieux vous attirer à elle avec les autres bargain-junkie. Bien entendu, vous n’avez jamais souhaité pour autant promouvoir la déforestation, une agriculture intensive, l’utilisation de pesticides dangereux pour la biodiversité, l’exploitation (voir l’esclavage) des travailleurs locaux, l’accélération des transports lourds avec leur empreinte carbone, les poids lourds sur nos routes embouteillées, les stratégies d’achat déshumanisées des groupes de Grande Distribution ainsi que leurs politiques salariales et managériales particulièrement dures. Non, vous avez juste souhaité un kilo de bananes (pas trop cher), parce que votre petit, comme les miens, adorent en manger.

Dans la plupart des histoires qui font intervenir un être surnaturel qui exauce les souhaits, l’heureux bénéficiaire des faveurs se prend souvent les pieds dans les conséquences imprévues liées à une mauvaise (ou incomplète) formulation de ses vœux. Cette métaphore est parfaitement d’application ici. Nous avons souhaité le confort de la consommation SANS jamais avoir désiré les autres conséquences des moyens mis en œuvre par le Génie pour nous les fournir.

Un exemple parmi tant d’autres ? regardez cette courte présentation sur les « secrets du marketing alimentaire » qui vous confrontera à l’Arme Secréte qui permet de faire passer presque inaperçue l’agriculture intensive avec ce qu’elle compte comme problèmes sanitaires à grande échelle et comme cruauté vis à vis de la gent animale. La conclusion est sans appel.

Mais le système pourrait devenir vertueux si nous ne souffrions pas de ce désir furieux de faire de « Bonnes Affaires ». A l’heure actuelle, le « bargain addicton » existe comme pathologie et définit le comportement obsessionnel d’achat ou le degré de remise est considéré comme plus important que la nature de l’objet ou son réel besoin. Ses victimes sont des acheteurs compulsifs et maniaques qui ressortent des magasins les bras chargés de choses achetées « pas cher », tombent généralement dans le surendettement et peuvent demander un suivi psychologique adapté.

Il serait caricatural de voir en chacun d’entre nous ce personnage compulsif et j’insiste ici sur le sens large que je donne à l’addiction du Bargaining. Cependant, à y réfléchir, sur un modèle collectif, ne sommes nous pas justement face à un problème qui tient du surendettement ? Pour produire tout ce que nous demandons, toutes ces déclinaisons infinies de réponses à nos moindres fantasmes, à des tarifs qui nous laissent majoritairement l’impression de les payer moins cher que leur valeur réelle, le « système » n’est il pas en train d’emprunter et de nous préparer une dette colossale ? Une dette financière, certes, mais également sociale ? économique ? politique ? écologique ? Nous vivons à crédit sur les réserves de notre terre et celles de nos enfants. Nous sommes donc, nous aussi, à une échelle collective, de graves surendettés !

J’essaierai, plus tard, de comprendre le pourquoi de cette « bargain addiction » et je reviendrai souvent à charge pour démontrer à coups d’exemples et de réflexion en quoi l’association du « bargaining » d’une part et d’un marché voué a servir les moindres désirs de ses consommateurs d’autre part crée un cocktail délétère qui nous ronge depuis la fin de la seconde guerre mondiale et nous conduit droit à la catastrophe.

Je voudrais ici conclure cette introduction à « NO DISCOUNT » par un message d’espoir. Je crois que le changement ne passe pas par l’abandon de la consommation. Nous aimons consommer. Nous avons produit ce monde économique et marchand de notre propre volonté. Le commerce nous garantit la paix (je développerai également ce point), l’innovation et le progrès. Le changement passera par une consommation responsable et volontairement orientée. Une consommation ou nos souhaits vont porter autant sur le « Quoi » que sur le « Comment » et notre responsabilité pèsera lourd dans le choix des moyens que le système mettra en œuvre pour produire, efficacement, éthiquement, écologiquement et humainement, les biens et les services que nous consommerons demain.

Vicent Engel, écrivain et chroniqueur, disait le vendredi 13 juin 2014 sur la Première,  je cite :

« cette obscénité qui est constamment présente qui fait que les gens exercent de moins en moins de responsabilités, alors qu’ils veulent de plus en plus de spectacles et de biens en payant de moins en moins cher. La responsabilité de ce qui se passe chez Delhaize (fermeture de 14 supermarchés) n’est pas seulement à rechercher au sein du management de l’entreprise mais bien chez tout le monde, chez vous, chez moi ! Ce sont les gens qui veulent en avoir toujours plus pour moins cher, avoir un grand nombre de produits sans en avoir la responsabilité. La responsabilité c’est aussi de payer les choses un certain prix pour une certaine qualité ! J’ai entendu ce matin une publicité d’une chaine que je ne nommerai pas qui annonçait du poulet à 3€ le kilo. Ce n’est pas possible, du poulet à 3€. « 

Ce faisant, il me donne un signal de plus qu’il y a, en nous, un espoir et, parmi nous, de plus en plus de personnes prêtes à le porter.

Je commence donc aujourd’hui à partager avec vous ces réflexions, comme je le fais quotidiennement dans mes formations en relation commerciale et en management . Comme vendeur, entrepreneur, dirigeant d’entreprise, je vous propose, comme première posture, le refus systématique de toute politique de Discount qui vous obligerait à mettre à mal votre qualité, le bien être des personnes (et des animaux) qui entrent dans votre chaine de valeur et la fierté que vous avez de vous même. En tant que consommateur, je vous propose d’essayer autant que possible de vous refuser à vous même de plonger tête baissée sur la « bonne affaire » ou à la réclamer à corps et à cris et vous mettre à vous interroger sur les origines, les processus et les moyens de production des biens et des services que vous consommez au quotidien pour privilégier des achats Responsables et des entreprises Éthiques, Morales et investissant dans l’Avenir.

C’est simplement ça, « NO DISCOUNT », simple, oui, mais pas facile, tant nous sommes encore de grands enfants naïfs, convaincus que le père Noël existe et que nous pourrions toujours obtenir tout pour rien.

15th June 2014 par Laurent HJ De Smet

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